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Batifolire, tribulations en zone littéraire
19 octobre 2011

On est pas là pour se faire baratiner #3

 Hamid Jemaï est un auteur qui "monte". Après Dans la peau d'un youv', en 2007 et son adaptation en BD en 2010, il a sorti son second opus, 2 jours pour faire des thunes en mai dernier qui lui a valu de très bonnes critiques sur la blogosphère mais également dans la presse professionnelle (Livres-hebdo, la revue des livres pour enfants, Lecture Jeune).

Entretien avec un auteur généreux qui n'a pas sa langue dans sa poche! Un grand merci à Hamid pour ses réponses qui nous permettent de découvrir un peu plus son univers.

310359_210259322368804_100001542122892_537309_5581841_nArtwork et photo : ZBONA

Avant de passer par la case littérature stricto sensus, tu écrivais des scénarios et tu faisais du slam. Pourquoi et comment t’es-tu tourné vers l’écriture de roman ?

Tout part de ma mère et de sa capacité à nous avoir donné le goût des mots dès l'enfance. Cette importante notion du respect de l'objet livre. Une bibliothèque très variée et disponible au foyer familial qui nous a accompagnée mes soeurs et moi pendant toute notre scolarité.
J'ai commencé l'écriture au lycée au service d'un groupe de rap. La plume en harmonie avec une instrumentale musicale sur laquelle tu respectes un tempo régulier, tu cultives sans cesse l'usage de la rime et de la fluidité des phrases dans l'assemblage des mots. Après un bac littéraire, entre le rap et l'écriture de romans, j'ai eu la chance de faire une formation audiovisuelle dans une école ce qui m'a amené à la réalisation de clips, d'un court métrage et à l'écriture de scénarios. Entre temps, au bout de sept années d'écriture et d'enregistrements de titres dans l'ombre avec mes anciens acolytes de scène et de studio, le groupe de rap Parole d'Hommes s'est disloqué. Portant en moi la frustration de ne pas avoir pu faire partager ma plume et ma voix à un public; ajouté au manque de cette rencontre qui m'est si chère entre le stylo et la feuille blanche devenue une réelle addiction; ces émotions m'ont guidé instinctivement vers l'écriture de poèmes, de slams, de fables et finalement vers l'écriture de romans. 

Comme un défi personnel, un soir un titre m'est venu à l'esprit, j'ai commencé à écrire une histoire dont je ne connaissais pas encore les tenants et les aboutissants, j'ignorais encore que je posais les premiers mots de ce qui allait devenir "Dans la peau d'un youv", mon premier roman. Je me suis tout de suite rendu compte que le fait d'avoir écrit pendant plusieurs années des textes de rap, d’avoir cherché la rime et  sculpté le « flow » au quotidien avait donné du style à ma plume, une certaine musicalité et un sens de la phrase qui "claque à l'oreille". Laissant ce premier chapitre "dormir" dans l’ordinateur, en me disant que je reprendrai le projet quand je le sentirai, j'ai été contacté par les éditions Sarbacane. Tibo Bérard, directeur de la collection de romans jeunesse Exprim' avait vu des éditos, textes courts poèmes et slams sur un site de promotion artistique et d'événementiel. Il me demanda si j'écrivais en format plus long, et suite à un premier rendez vous pour lui faire lire mon premier chapitre, l'aventure était lancée avec enthousiasme, spontanéité et énergie positive réciproque entre les deux parties. Première rencontre avec Tibo: Avril 2007. Publication de "Dans la peau d'un youv" au mois de novembre de la même année.

couv_brakoBrako, Hippolyte et Hamid Jemaï, Sarbacane 2010


Quelles sont tes inspirations qu'elles soient cinématographiques, littéraires ou encore musicales?


Inspirations musicales très diverses. Du rap français ou américain, au rock, en passant par le reggae et l’électro. Ou encore de la musique mystique comme "Dead Can Dance" et sa fameuse Lisa Gerrard qui m'inspire beaucoup. Les musiques de films nourrissent aussi mon écriture comme la B.O. de "In the mood for love " et toute l’oeuvre d’Ennio Morriconne. La liste serait trop longue si je devais citer des artistes ou groupes qui m’ont marqués. Je vous propose d’en retrouver quelques uns dans les B.O. présentes au début des mes deux romans : une idée Exprim’.

Mes inspirations cinématographiques sont clairement tournées vers les productions américaines genre polar, films noirs, westerns et histoires de gangsters ( Martin Scorsese, Brian De palma, Quentin Tarantino, Sergio Leone ). J’'aime aussi les films chorales comme ceux du réalisateur Inaritu ( Amour Chiennes), et le cinéma asiatique. Je suis de près les réalisations d'Olivier Marshall car j'aime sa manière de traiter les thèmes du grand banditisme, du monde de la nuit et du milieu obscur policier. J'aime beaucoup les séries américaines (Les Sopranos, Heroes, The Shield, Oz).


C'est un peu contradictoire pour un écrivain mais je n'ai pas réellement d'inspiration littéraire à part Science et vie, Picsou magazine, les fables de La Fontaine, des livres ésotériques et tout ce que ma mère a réussi à me glisser dans les mains depuis ma naissance. En lecture je suis mauvais élève. Quelques livres m'ont marqués: L'alchimiste de Paulo Cohelo, Les Thanatonautes de Werber, La nuit des temps de René Barjavel, Frankeinstein de Mary Shelley, Coffee d'Edgard Sekloka. (ndrl [j'ai toujours voulu écrire ndrl, ça c'est fait!] le prochain roman d'Edgar Sekloka, Adulte à présent sortira le 2 novembre!)


extrait_youv

Ton écriture est très poétique et rythmée et passe très bien à l’oral. Prononces-tu tes phrases avant de les écrire ?


Merci. Oui je prononce mes passages à l'oral mais seulement une fois qu'ils sont écrits de la même manière que je récite un texte de rap ou un slam une fois écrit. Je détiens cette culture de l'oralité de par mon expérience dans la musique. J'ai besoin de ça pour continuer à avancer. Cela me permet d'entendre le son des phrases, de mieux maîtriser le rythme et la musicalité des paragraphes. Cela m'est cher et important. Après, tout dépend de l'état d'esprit dans lequel je suis à l'instant T. Il n'y a pas qu'une seule méthode, c'est cette totale liberté qui me plaît.


Mais l’écriture est également très cinématographique, sans tomber dans l’excès. Quelles sont selon toi les principales différences entre écrire un scénario et un roman ? La démarche, le message sont-ils les mêmes ? Tu ne te mélanges pas les pinceaux quelques fois!?


Non je ne mélange pas les pinceaux car cela fait un moment que je ne me suis pas penché sur un scénario ! Mais si je les mélange, c'est volontaire et conscient. C'est dans ma nature de mélanger, mixer, brasser. Les genres, les styles, les langues, j'aime changer d'univers et m'adapter. 

L'écriture de scénarios est un exercice beaucoup plus méthodique, il faut aller à l'essentiel tout en gardant une sensibilité qui rend capable d'aller vite, en offrant une visualisation des images et des intrigues claires au lecteur. Dans un roman on peut se permettre de prendre un peu plus de temps pour caractériser un personnage ou décrire une situation. Ces nécessités se feront par le biais de l'oeil et la direction du réalisateur pour un film. Pour ma part je me sers et m'inspire beaucoup des codes cinématographiques modernes pour rythmer et épicer mes romans. Convaincu que les deux arts son liés d'une manière ou d'une autre.

Je pense que les démarches sont différentes dans la forme seulement. Dans le fond écrire un livre, un scénario ou réaliser un film restent des moyens d’expression, une manière de communiquer des émotions. Partant du principe que les messages délivrés dans ces deux arts prennent comme source d’inspiration, la vie, ces messages n’ont aucune limite ni frontière. Ils peuvent se ressembler, se croiser ou être fondamentalement opposés.

9782848652016Dans la peau d'un youv, Hamid Jemaï, Exprim' chez Sarbacane, 2007

Comment t'es venue l'histoire de Karnal (celle de son premier roman, ndlr)?

L’histoire de Karnal m’est venue dans un besoin de lâcher une partie de ma vie sur papier. Ce moment où j’ai pasmal traîné la nuit, cette période où dans mon quartier on était jeunes insouciants et on s’ prenait tous un peu pour Al Pacino dans Scarface comme beaucoup de gamins de notre époque. « Dans la peau d’un Youv’ » est le résultat des désillusions d’une croyance en une certaine invulnérabilité juvénile par laquelle on passe souvent lorsqu’on grandit en banlieue. En grandissant on se rend vite compte que l’argent domine tout, de nos actions à notre manière de percevoir les  relations humaines. Je voulais donc mettre en valeur ce côté malsain et matériel de la vie, et parler de ce que chacun est prêt à faire ou pas pour une grosse somme. d’argent.  Je m’étais lancé un défi personnel d’écrire un roman, et logiquement, pour un premier essai, j’allais développer une histoire dans un environnement social que je connaissais. Celui des jeunes banlieusards. En écrivant les premières lignes, je ne savais pas encore que le roman allait traiter de thèmes violents comme le braquage et le pouvoir corrupteur de l’argent. J’écrivais vraiment à l’instinct. Je me suis laissé guider par ma plume et mon imagination qui m’ont menés jusqu’à ce fourgon blindé. Un peu autobiographique dans le sens ou Karnal aime baigner dans la prose, j’ai fait le choix ensuite et au fur et à mesure de l’écriture, de donner un destin violent et tragique à certains personnages pour ne pas tomber dans un message qui ferait l’apologie du crime. Car je pense que si l’on possède un moyen d’expression et qu’à terme il arrive jusqu’aux yeux et aux oreilles d’un public, d’autant plus un « public jeunesse », on se doit de garder une ligne de conduite morale saine, sans pour autant s’auto censurer, c’est mon avis.

Et quelle était l'idée pour le second roman?

Pour le second roman l’idée principale partait d’une réelle envie de me faire plaisir. Dans le sens où j’allais m’éloigner de la banlieue pour plonger dans un univers plus proche de celui de la mafia et des gangsters que j’affectionne particulièrement. Inventer des personnages forts, caractériels, loufoques, impulsifs ou calculateurs. Je voulais « essayer ». En mélangeant le milieu mafieux russe et l’ambiance des gitans parce que les deux communautés me plaisent l’une pour sa froideur légendaire et l’autre pour son folklore. J’aime les situations d’urgence dans les histoires que je raconte ou que je regarde au cinéma, ceci explique la tournure du scénario de « 2 jours pour faire des thunes ». Je voulais confronter mon personnage principal à son instinct de survie, car ce sujet m’a toujours intrigué. Cette capacité d’adaptation de l’homme face à des situations extrêmes. De la même manière que l’os du Kick boxer s’endurcit avec les coups, ou le mental du yogi s’élève et voit les choses avec de plus en plus de recul avec le temps et la méditation. Au pied du mur nous sommes capables du pire comme du meilleur. Et tout est une question de déclic et d’acceptation. J’avais envie de mettre la loupe sur tout ça. Et aussi de sculpter un personnage et de l’emmener à transformer sa personnalité, jusqu’à un point qu’il n’aurait lui-même pas pu imaginer.


Dans tes deux romans, on retrouve un héros masculin qui appartient au même milieu et vivent de débrouille ce qui finit par leur créer des problèmes. Selon toi Karnal et Micklo pourraient-ils être amis dans la vie ? Et toi pourrais-tu être ami avec eux ? 


Pourquoi pas ma foi des fois parfois... soyons fous ! Ils pourraient être amis, oui sans hésitation, mais ils auraient sûrement pris des chemins différents avec le temps car ils divergent dans leur éthique personnelle. Ta question me donne envie d'écrire un roman ou leurs destins respectifs se rejoignent ! C'est un peu bizarre mais bon, pourquoi pas!?  Amis avec moi ? Oui bien sûr car ils sont tous les deux des entités inspirées de mon caractère et mes différentes manière d’être au quotidien, j'ai un petit côté caméléon pour ne pas dire schizo, rires. Mais comme on dit que les contraires s'attirent je pense que leur amitié deviendrait vite étouffante.

97828486544472 jours pour faire des thunes, Hamid Jemaï, Exprim' chez Sarbacane, mai 2011


Depuis quelques années, on entend parler de la littérature urbaine. Comment la définirais-tu ? Te sens-tu "appartenir" à cette veine?


Je ne définirai pas la littérature urbaine car je pense que l'on devrait parler de littérature tout court. En Espagne on parle de romans noirs, aux Etats Unis de polar.  Je trouve cette classification "urbaine" typiquement française, ici on aime mettre chaque chose dans une catégorie. On parle souvent de romans Hip Hop pour définir mes livres, je ne renie pas ce côté bien au contraire mais la touche urbaine est juste l'une de mes substances de créativité. Pour répondre à la question suivante qui est liée, je ne me sens appartenir à aucune veine car j'ai des projets complètement différents. J'écris aussi des poèmes d'amour où je préfère une certaine sensualité des mots, des fables en langage soutenu et je compte bien écrire à l'avenir des romans adultes confondus dans un mode d’expression plus classique. C'est juste que je m'éclate et m’épanouis dans cette manière d'écrire pour le moment alors j'en profite. Quand j'aurai envie de changer ; un côté électron libre, je n'aime pas les cases; ce sera sûrement un besoin instinctif qui me guidera et je sais pertinemment que cela ce produira.


Rencontres-tu tes lecteurs ? Quelles sont tes relations avec eux ?

Oui, beaucoup, en librairies, collèges médiathèques et associations. Publics adulte et adolescent. Je propose des ateliers d'écriture et j'aime beaucoup l'exercice. Je fais pas de mal de séances de dédicaces quand j'ai une actu fraîche. J'ai un tempérament communicatif et j'ai toujours aimé le contact. Je me rapproche très facilement des lecteurs, j'ai eu l’occasion de beaucoup bouger en France pour des rencontres et des évènements très variés. C'est toujours un énorme plaisir. Je rencontre des vraies graines d'écrivains, des gens avec qui je garde contact parfois. De tous âges et tous cercles sociaux.

 

Dernièrement, j’ai eu la chance d’être invité au premier mais ambitieux Salon « Le livre sur les quais » de Morges en Suisse ainsi qu’au festival littéraire « En première Ligne » à Ivry sur Seine.


Pour finir, peux-tu nous dire quels sont tes projets ?

La traduction en espagnol de mon deuxième roman " 2 jours pour faire des thunes "  est lancée. Je travaille avec une traductrice géniale qui donne beaucoup d’importance à la musicalité des mots et qui cherche à respecter les rimes et les retranscrire d’une langue à l’autre.

Un roman en cours d'écriture, un clip à réaliser à la fin du mois. L'ambition de reprendre la musique et de sortir un 8 titres mêlant rap, chant, slam et poésie. Et un projet rigolo de mini livre représentatif de la jeunesse française. Ca fait pas mal pour le moment. Non je n'ai pas peur de me disperser, j'ai toujours procédé de cette manière à aller fouiner un peu partout en même temps et jusqu'ici tout va bien.

Merci à toi de m'avoir donné la parole, je t'en remercie infiniment. Merci à tous ceux qui me soutiennent.

Au service de la plume, au plaisir de votre lecture.

 

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Commentaires
H
Merci à tous pour vos commentaires.Merci pour votre soutien. Merci pour vos mots qui valent plus que tout l'or du monde et sont un moteur à énergie libre pour ma plume. Je serai présent le vendredi soir au salon de Montreuil pour une séance de signature de 19h à 21h. Mon troisième roman est en cours d'écriture.Plein de bises.Je vous embrasse fort et vous dis à très bientôt.
B
Hamid nous présente des situations courantes avec réalisme et tout d'un coup on est touché par son talent perpetuel qui joue à cache- cache avec nos émotions. Ecrivain qui communique sans faille.
A
Merci à toi Tam pour ton enthousiasme et ta générosité qui sont aussi sans failles! <br /> ahlala tant de jolies choses dites va falloir qu'on arrête! ;)
T
Merci pour cette lecture intéressante et enrichissante <br /> <br /> Les questions posées sont on ne peut plus pro et les réponses d'une générosité et d'un enthousiasme sans faille !<br /> <br /> Pour la nuit des temps, oh comme c'est pas original !!!! c'est aussi mon livre préféré, j'ai d'ailleurs voulu appeler ma fille Eléa mais on m'en a empêché pretextant que ce n'était pas un prénom "arabe" .... bref, rien à voir<br /> <br /> Merci pour cette sympathique interview !!! quant à moi j'ai hâte de lire le 3 ème roman de cet auteur si fabuleux ;-) !!
A
Que celui qui n'aime pas La nuit des temps sorte immédiatement d'ici! (je plaisante... bien sûr!)
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